Alain Passard, 3 étoiles Michelin, au verger de Pomone à Mauves-sur-Huisne - "Le Bouquet de roses d'Alain Passard" article du Monde

Publié le par perche-web




Le Bouquet de roses d'Alain Passard
LE MONDE | 20.08.08 |

Qu'est-ce qui fait courir le Breton Alain Passard, 52 ans, trois-étoiles Michelin ? Depuis 2000, il herborise près du Mans en faisant partager à sa clientèle parisienne les délices austères de son potager, où ses jardiniers bichonnent le panais, le rutabaga, le chou pommé, les navets et autres raves. Aujourd'hui le voici au verger de Pomone, à Mauves-sur-Huisne, dans le Perche ornais, s'assurant des douceurs de la belle de juillet, une pomme précoce, de belle teinte jaune, fine, sucrée, "serrée à la main", c'est-à-dire cueillie manuellement à maturité, sous peine de tomber selon la loi de Newton. Les pommiers sont centenaires et n'ont jamais été traités.


Car la grande affaire d'Alain Passard est aujourd'hui la pomme et, plus précisément, la tarte aux pommes, dont il propose une variation nouvelle, intimiste et intriguante, jouant sur la richesse de la forme, l'expression et le raffinement technique, sans en altérer les saveurs bien ancrées dans nos mémoires gustatives. "J'ai voulu toucher à un mythe... la tarte aux pommes !", avoue le chef en présentant un disque d'apparence classique garni d'une quinzaine de rubans enroulés, semblables aux boutons à peine éclos d'une rose de jardin.

La tarte gagne en volume sans rien perdre, en apparence, de sa légèreté, car l'épaisseur du ruban n'excède pas 2 millimètres sur 2 à 3 centimètres de largeur. Facile, dira-t-on ; au lieu de découper la pomme en quartiers, il suffit de la tailler en ruban. Passard referait-il le coup de génie du homard taillé en aiguillettes ? Ce n'est pas si simple, car chaque ruban préserve en surface, sur son petit côté, un vestige de la peau qui fixe la couleur à la cuisson. Cette dernière création a pour nom : Bouquet de roses.

Le chef ne divulgue pas la recette, car elle fait l'objet d'un brevet, et la marque est déposée à l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Alain Passard ne cache d'ailleurs pas son intention de commercialiser ce produit avec l'aide d'une enseigne nationale, et même internationale, puisque la protection est étendue au Japon.

Voilà une indication précieuse. Le chef de L'Arpège connaît bien la table japonaise qui associe goûts et textures à l'art de la découpe et à l'harmonie des couleurs. Comme l'ikebana - l'art de la composition florale -, la cuisine du Japon suppose la construction d'une forme sensible, adaptée à chaque mets. La tarte Bouquet de roses exige la découpe d'un ruban perpendiculaire à la peau d'une dizaine de centimètres.

Aucun couteau économique, aucun cutter sophistiqué ni même un taille-légumes apte à créer des fleurs ne peuvent s'attaquer à la pomme. En revanche, il existe un coupe-légumes japonais qui permet de trancher en bandes larges et fines les fruits, pommes et poires. L'appareil est équipé de lames réversibles en acier inoxydable. Est-ce là le secret de la tarte Bouquet de roses, qui renouvelle celui des demoiselles Tatin ? A la dégustation, cette tarte est succulente, sans que l'on distingue si l'esthétique joue le moindre rôle.

Le chef en convient. Il revendique sa proximité avec la nature au moment où d'autres pensent que la cuisine doit constituer un ensemble autonome de goûts, de textures et de produits. Ici, pas d'azote liquide, mais la cuisson au four classique d'une pâte feuilletée croustillante dont la garniture de pommes peut être saupoudrée de dragées écrasées au mortier pour donner du croquant, ou bien parfumée de cannelle.

La découpe des pommes a toujours excité l'imagination des cuisiniers. Michel Kéréver, qui fut le maître d'apprentissage d'Alain Passard, a donné la recette d'une tarte aux pommes taillées en pommes pailles avec la râpe à légumes. Michel Gérard recommande, dans la recette de sa tarte fine chaude aux pommes acidulées, "de recouper chaque moitié en quartier de lune d'un centimètre et demi d'épaisseur".

A défaut d'acheter ce nouveau Bouquet de roses (25 € la tarte pour deux), chacun peut essayer, avec une lame fine, de réaliser l'exploit à la maison sans risquer le plagiat, car la protection s'applique à une innovation technique et non à une idée, oeuvre de l'esprit, qui seule peut être protégée au titre de la propriété littéraire et artistique. Vieux débat tranché par le tribunal de Paris, pour qui les recettes de cuisine ne constituent pas en elles-mêmes une oeuvre de l'esprit.

Les pâtissiers sont réputés jaloux de leurs recettes mais soucieux de leur transmission. Alain Passard livrera-t-il un jour son secret ? Henri Thomas, le pâtissier de Bonnieux (Vaucluse), qui régale sa clientèle d'un fameux gâteau Louis-Philippe depuis trente-cinq ans, s'apprête à prendre sa retraite fin septembre. Sa recette de pâte sablée garnie d'une crème chiboust aux zestes d'orange confits et couverte d'une fine meringue serait à jamais oubliée s'il n'avait pris soin de la confier à sa fille, pâtissière à Saignon (Vaucluse), et à un proche, maître artisan pâtissier dans les Hauts-de-Seine.

Cuisiniers et pâtissiers poursuivent ce que d'autres ont commencé avant eux et entreprennent ce que d'autres achèveront à leur suite.

Jean-Claude Ribaut
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