Gué-de-la-Chaîne Bernard Boblet orfévre-boucher article de Fabienne Gérault pour Village Magazine

Publié le par perche-web

Bernard est un orfèvre-boucher

A peine 60 ans et il pense déjà à la retraite. Il faut dire que Bernard Boblet est boucher charcutier depuis l’âge de 14 ans. Un métier qu’il a choisit seul et par passion. Plusieurs décennies plus tard, il ne regrette rien. Contre vache folle et grandes surfaces, il a gardé le cap : celui de la fabrication traditionnelle, du commerce de proximité et de la viande de qualité.

Mercredi, 8 h 45, une forte odeur d’ail règne dans le laboratoire. La veille, Bernard Boblet a mis seize kilos de porc « au sel ». Ce matin, il verse sa préparation dans « la cutter » (1). Il démarre la machine lentement, puis accélère la coupe. Pas besoin de minuteur, il juge à l’œil de la bonne consistance. Il met alors le tout dans un poussoir hydraulique. Et petit à petit, le boyau s’emplit « du gros de bœuf, naturel », précise l’artisan. Avec dextérité, il ficelle le saucisson. Sur la cuisinière, dans un faitout, des tripes mijotent. Elles vont cuire pendant des heures. Une journée ordinaire dans cette boucherie charcuterie de campagne.
Mais bientôt, Bernard posera son tablier et rangera ses couteaux. Il passera la main. « A quatorze ans et demi, j’avais mon premier bulletin de paie », dit-il avec le sourire. Et d’ajouter : « l’école, ce n’était pas mon truc ». Le garçon est pourtant bon élève et ses parents agriculteurs le verraient bien poursuivre ses études. Mais il ne rêve que d’une chose : devenir boucher charcutier. Il commence à Ceton, dans l’Orne. Chez Monsieur Surcin en 1963, Bernard apprend les recettes de la charcuterie traditionnelle. Comme celle du boudin blanc, qu’il utilise encore aujourd’hui.
Il découvre aussi l’abattage que l’on pratique sur place, à côté de la boutique. « Deux mois après mon arrivée, se souvient-il, je me suis retrouvé face au cochon dans la cage. Il fallait que je le tue à la masse. » Le jeune boucher ne recule pas. Un peu plus tard, il conduit même porcs et bovins à l’abattoir (2). Bernard acquiert ainsi un véritable savoir-faire et décroche son CAP. Pourtant, en 1966, un mois après son arrivée chez son second patron, en région parisienne, il s’entend dire : « tu as tout à apprendre ».

La quête de la perfection

Aux côtés de Pierre Méhault, ornais d’origine lui aussi, Bernard découvre le métier d’orfèvre-boucher. « J’ai vraiment appris à découper auprès de lui », confie-t-il. Son nouveau maître vient de s’établir à Saint-Cloud. « Dans le quartier pouilleux », précise Pierre. « Les clients, je suis allé les chercher dans les beaux quartiers, là-haut, avec la qualité de mon travail. » Les cuisinières des grandes maisons sont pointilleuses. Elles commandent par exemple « quarante côtes premières parées, de 140 grammes chacune ». La barre est placée haut, le patron exigeant, mais juste. Bernard reste deux ans à ses côtés.
Après l’armée, le jeune homme devient ouvrier à Saint-Cosme-en-Vairais, dans la Sarthe. Son nouveau patron, Monsieur Gouhier, lui apprend une troisième facette du métier : la vente. « J’ai d’abord sillonné la campagne avec lui, se souvient Bernard. Puis, je me suis retrouvé à faire seul la tournée. J’ai travaillé quatre ans sans un seul jour de vacances. » En novembre 1974, il reprend une affaire au Gué-de-la-Chaîne, petite commune ornaise de 700 habitants. Sa femme, manutentionnaire, le suit et se retrouve du jour au lendemain au magasin.
« J’ai appris sur le tas, mais j’ai eu un bon formateur », reconnaît-elle. « Les collègues disaient qu’une boutique où la femme sert la viande, ça ne marche pas », ironise Bernard. « Pourtant, au bout de trois semaines, je partais en tournée, il fallait qu’elle se débrouille ». Raymonde a fait mieux que ça… Même si elle avoue trouver difficile de couper les côtes de porc avec la feuille (3). « Il faut taper plus avec l’arrondi qu’avec le talon », conseille son mari. Plus de trente ans déjà qu’ils sont tous les deux aux commandes de leur affaire et toujours ce même souci de qualité.

L’artisan au champ

Pour faire de la bonne viande, Bernard est même devenu éleveur. Il a commencé par des moutons. « J’avais vu comment cela se passait chez un de mes patrons. Et puis, gamin, j’étais au milieu des bêtes. J’ai été bercé là-dedans », note-t-il. Un employé de l’abattoir lui conseille d’acquérir une Blonde d’Aquitaine. Aujourd’hui, il en possède un cinquantaine. Bernard est « naisseur-engraisseur ». Il suit chacun de ses animaux du vêlage jusqu’à l’abattage. Et les races à viande, ça le connaît. « J’ai toujours acheté mes bovins sur pied », affirme-t-il.
Les porcs, il les trouve chez un voisin. « Cela fait vingt-huit ans que je les achète là, ajoute-t-il. Ils sont élevés de façon traditionnelle et je suis sûr de la qualité ». Ils sont livrés le mardi à six heures. Bernard consacre alors deux matinées à la fabrication de sa charcuterie. Les saucisses sont faites sans colorant, le pâté de campagne doré au caramel et les rillettes cuisinées à l’ancienne. Pour les agneaux, veaux, volailles… la boucherie ne propose que des produits fermiers ou labellisés. Et la viande de bœuf est 100 % maison.
Bernard ne s’est pas laissé emporter par la vague industrielle. Mais cela ne signifie pas qu’il travaille comme il y a trente ans. « J’ai toujours avancé », dit-il. Pour preuve, la cuisson de ses jambons. Il les enveloppe d’abord dans une chaussette, puis les emballe sous vide. Il les fait cuire ensuite à l’étuvée. « C’est un de mes ouvriers qui m’a appris cette méthode, reconnaît-il. Ils ont plus de saveur ainsi. » Dans son laboratoire, un four à air pulsé côtoie le traditionnel billot en bois. La boutique a un look années soixante-dix, mais derrière la façade un peu rétro, Bernard et Raymonde vivent bien avec leur temps.
Et leur temps bientôt, sera celui de la retraite. Bernard abandonnera alors les personnes qui l’attendent fidèlement sur sa tournée. Comme ce samedi à La Perrière. « Vous nous manquerez », lâche l’une d’elles. « On se demande comment on fera sans vous », ajoute une autre. Le boucher ne se laisse pas gagner par la nostalgie ambiante. Au contraire, il manie l’humour comme ses couteaux, avec agilité et jubilation, provocant des éclats de rire… Un petit instant de bonheur tout simple sur le bord de la route.

(1) Cette machine coupe la viande, à la différence du broyeur qui la hache. Bernard la préfère car elle donne une meilleure consistance à ses produits et favorise une plus longue conservation.
(2) Au fil du temps, Bernard a vu évoluer les techniques d’abattage, de la masse au « matador » jusqu’à l’électrocution pratiquée aujourd’hui. Le « matador » était une sorte de fusil à cartouche sans canon.
(3) La panoplie de base du boucher se décompose en trois couteaux (à trancher, à désosser et à éplucher), une feuille et un fusil.

AUTEUR : Fabienne Gérault
  Revue - Village Magazine n° 83  http://www.village.tm.fr/

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